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Un appareil photo n’est pas un revolver


Le ciel s’assombrissait sur le pont de l’Université, à Lyon, ce mercredi 21 janvier 2009. J’ai sorti mon appareil photo. Deux jeunes femmes avec une poussette et un homme plus âgé avançaient vers moi. J’ai déclenché quand j’ai estimé qu’ils formaient une silhouette agréable pour la photo puis j’ai attendu qu’ils arrivent à ma hauteur. L’une des deux femmes, blonde aux yeux bleus, m’a apostrophé sèchement : « Vous nous avez photographiés ? » Elle parlait un français sans accent, tout comme l’autre femme que je jugeais pouvoir être sa sœur cadette. De toute la scène, l’homme n’a rien dit.

J’ai répondu oui. Avant que j’ai pu prononcer un autre mot, je me suis entendu rétorquer : « Vous n’avez par le droit de nous photographier. Vous devez détruire cette image sinon j’appelle la police. » Il m’est arrivé d’effacer des photos à la demande, par respect, je n’ai pas de complexe de ce côté-là. Mais dès lors que j’étais assimilé à un délinquant contre lequel on entend requérir les forces de l’ordre, j’ai refusé.

Elles ont appelé la police et moins de cinq minutes plus tard, j’étais encerclé par deux équipages arrivés dans deux voitures, plus quelques policiers en civil. Les agents m’ont courtoisement mais fermement demandé à voir la photo. Je leur ai dit que je n’y étais pas obligé – ce dont ils ont convenu – mais par souci d’apaisement je leur ai montré. Il m’ont alors demandé de l’effacer. J’ai refusé, faisant valoir que la photographie n’est pas interdite en France, indiquant, en revanche, que je n’utilisais pas de photos de personnages reconnaissables m’ayant signifié leur refus. J’ai précisé que dans la mesure du possible, j’avais à cœur de me présenter aux personnes que je photographie, ce qui s’avérait vérifié dans le cas présent.

Un inspecteur a téléphoné, sans doute à la préfecture et vingt minutes plus tard un agent m’a dit que je pouvais conserver ma photo et repartir librement.

L’échange verbal que j’ai eu avec les policiers vaut d’être conté. L’un d’entre eux s’est montré agressif, m’accusant de porter « atteinte à la vie privée ». Grands dieux quelle atteinte à la vie privée de photographier, de loin, des gens marchant normalement dans la rue ! Ce même agent n’a pas hésité, lui, à s’ingérer dans ma vie privée, me demandant si j’avais des enfants et, ayant répondu de façon affirmative, si j’accepterais de savoir ma fille photographiée de la sorte (ma fille, pourquoi pas mon fils et avec quels sous-entendus ?)

On parle beaucoup du « droit à l’image » souvent sans savoir de quoi il retourne. Je ne vais pas ici disserter longuement sur le sujet. Je veux toutefois jeter une petite pierre dans le jardin fort complexe du « respect de la vie privée » en faisant cette simple remarque : à moins d’être retouchée, la photo dit vrai, systématiquement et parfois impitoyablement vrai. Le législateur devra bien un jour définir à partir de quel moment la vérité porte atteinte à la vie privée.

Un autre agent m’a reproché d’être un « artiste » enfermé dans ses certitudes qui faisait perdre son  temps à la police. Grand diable, ce n’est pas moi qui l’ait appelée et je trouve tout de même étonnant qu’elle se soit déplacée en force alors qu’il n’y avait ni délit, ni même infraction constatée !

Les autres agents, je les en remercie, ont bien voulu écouter ce qui pour moi restera la morale de l’histoire. Piqué par les insinuations à propos de ma fille j’ai répliqué que c’est pour elle, les petits enfants qu’elle me donnera et leurs enfants que je photographiais. Nous regardons émerveillés les photos des Willy Ronis, Janine Niepce, Robert Doisneau et tant d’autres qui font vibrer dans nos yeux les souvenirs de nos enfances, l’évocation de celle de nos parents.

Une photographie est un instantané pas seulement parce qu’elle est prise au trentième ou soixantième de seconde mais aussi parce que cette seconde-là est unique et singulière parmi toutes les secondes de la grande échelle du Temps. La photographie est une alliée précieuse pour la recherche historique, grande ou quotidienne. Il est du devoir de la photographie de poursuivre cette quête qui lie – et liera, je l’espère toujours – les générations entre elles.

Puisque la photographie a désormais deux académiciens sous la coupole, n’est-il pas temps de lui reconnaître ses lettres de noblesse dans le cadre de cette grande discipline qu’est l’Histoire, mère de tous les humanismes, avant que trop de contrôles de police ne la vouent aux gémonies ?

Janvier 2009