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Réflexions sur le droit d'auteur en photographie


Lorsqu’en 1777, Beaumarchais et une vingtaine de ses amis écrivains fondent la première société d’auteurs au monde, ils jettent dans le marigot des compagnies de théâtre un pavé dont les vagues baignent aujourd’hui encore les berges de la création artistique.

Cette société d’auteur aboutira à faire reconnaître le droit d’auteur par l’Assemblée Constituante, en 1791 et donnera naissance à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), en 1829. D’autres sociétés d’auteurs naîtront par la suite, notamment la bien connue SACEM pour la musique.

Le droit d’auteur reconnaît au créateur d’une œuvre de l’esprit, littéraire ou artistique, des droits sur elle. Parmi ces droits, certains sont d’une espèce sonnante et trébuchante : un pourcentage prélevé sur les recettes engendrées par la représentation ou la diffusion de ces œuvres et versé à leur auteur. En clair, le droit d’auteur est la juste sanction de la rencontre avec le public : il rémunère le succès d’une création.

La photographie est reconnue comme faisant partie des œuvres de l’esprit depuis la loi de 1957. La loi de 1985 a supprimé les restrictions de la loi de 1957 qui limitait son champ d’application aux photos « de caractère artistique ou documentaire ». Mais un demi siècle plus tard, la mise en pratique de cette reconnaissance fait toujours problème. Il a fallu attendre 2006 pour qu’il y ait une section photographie à l’Académie des Beaux-Arts, section qui, à ce jour, ne compte que deux académiciens : Lucien Clergue et Yann Arthus-Bertrand.

Des juges ou des organismes officiels ratiocinent cette reconnaissance en excluant certains types de photographies du champ ouvert par la loi. Le fisc s’est particulièrement illustré dans cet exercice pour contester l’application du taux de TVA réduit à 5,5%. Ainsi est-il dit qu’un photographe de portrait qui exerce dans son échoppe d’artisan ne produit pas œuvre d’artiste. Au vu de la directive des services fiscaux de 2003, il faut considérer les photos Nadar comme de simples marchandises !

Ce qui peut paraître ridicule et qui s’avère souvent blessant pour les photographes, relève d’une confusion systématique entre le statut professionnel du créateur de l’image et le statut même de l’image qu’il a créé, image sur laquelle il a des droits et qui ne se confond pas avec lui. C’est une question cruciale.

Il y a un corollaire à cela, qu’il faut impérativement respecter : nul ne peut préjuger de la portée d’une photo. Le fameux « Baiser » de Doisneau était une commande du magazine américain Life pour illustrer l’atmosphère parisienne après la guerre. Qui aurait pu prévoir qu’elle allait devenir une œuvre artistique majeure de la photographie ?  Le fisc a sans doute le droit de refuser à un photographe l’application du taux réduit de TVA mais certainement pas celui de lui dénier ce que le code de la propriété intellectuelle lui reconnaît de plein droit.

C’est vrai qu’il est difficile de ne pas se demander si les millions (les milliards ?) de photos prises chaque jour, pour certaines avec des téléphones portables, relèvent bien toutes des « œuvres de l’esprit ». Disant cela, j’ai bien conscience de porter le fer au cœur même de notre ligne de défense : pour les photographes, toutes les photos dès lors qu’elles existent, relèvent de la création intellectuelle. Mais il faut avoir la lucidité de reconnaître que cette seule certitude n’empêche pas l’effritement, chaque jour un peu plus, des remparts censés protéger nos œuvres.

Une première réponse consiste pour le photographe à adhérer à une société d’auteur, en l’occurrence la SAIF. Par ce geste, il affirme être l’auteur d’une œuvre photographique. Cette œuvre se distingue de son activité professionnelle en ce sens que sa réalisation ou sa diffusion n’est pas nécessairement dépendante de cette activité. Cette œuvre se tourne vers le public – public indifférencié par opposition au public particulier que vise le client du photographe. Après tout Nadar n’est-il pas considéré comme artiste précisemment parce que ses photos ont suscité l’intérêt d’un public dépassant largement le cadre intime des personnes photographiées ? 

Cela étant, je ne pense pas qu’adhérer à une société d’auteur suffise. Je suis partisan de déposer nos œuvres à notre société d’auteur. Certes, ce n’est pas une obligation, la loi étant censée nous protéger de toute façon. Force est de dire que bien souvent elle ne le fait qu’à force de procès. Déposer une photo, c’est accomplir un acte de caractère juridique par lequel nous demandons officiellement la protection juridique qu’accorde la loi. C’est mettre la loi devant ses responsabilités. C’est un peu l’équivalent de l’inscription à l’Etat civil pour un nouveau né, inscription qui lui donne une existence juridique.

J’entends bien les objections. Il conviendrait d’opérer une importante montée en puissance de la SAIF. Mais plusieurs arguments plaident en faveur d’un tel développement. Je le vois comme une fusée à trois étages. Premier étage : la technologie permet de transmettre rapidement des fichiers numériques et de les stocker à peu de frais. Le dépôt peut devenir un geste simple pour le photographe. Il assure la paternité de ses images.


Son intérêt ne s’arrête pas là. Deuxième étage : le problème du contrôle de nos images a pris des allures himalayennes avec la circulation des photos sur internet à la vitesse de la lumière, à l’échelle de la planète, de surcroît dans des fichiers de plus en plus volumineux permettant l’impression sur papier. Le photographe seul est perdu d’avance. S’ils n’existent pas déjà, des logiciels de reconnaissance automatique des images permettront de sonder la toile et les publications dont les versions électroniques sont de plus en plus fréquentes. On peut même imaginer une obligation de dépôt électronique des publications sur papier.

Le problème de la vente de photos sur internet pour quelques centimes d’euros n’interpelle pas que les photographes. C’est toute la chaîne de l’image que se trouve bousculée. Les diffuseurs savent d’expérience que les photos préfabriquées, gratuites ou payantes ne répondent que très rarement à leurs besoins. Ils veulent avoir sous la main des photographes professionnels capables de répondre avec précision à leurs demandes. La question de l’existence et donc de la rémunération des ces professionnels est dès lors incontournable.

Si ce ne sont pas des sociétés d’auteur qui initient le contrôle de la toile – et il faut certainement de ce point de vue imaginer des coopération internationales –, ce sont des société privées qui le feront. Google en est certainement capable. Les mêmes qui vendent aujourd’hui des images à trois sous vendront demain du contrôle et proposeront leurs services pour aider les créateurs à percevoir leurs droits. Ils le feront non par philanthropie mais pour sauvegarder le caractère fort lucratif de la chaîne de l’image.

Troisième étage, enfin : la perception et la gestion des droits individuels par la société d’auteur, comme le fait la SACEM pour la musique et les paroles des chansons, permettrait au photographe de clarifier ses rapports avec ses clients ou employeurs en distinguant le travail du droit d’auteur. L’indépendant facturerait sa prestation et ses frais, à charge à la société d’auteur de percevoir ses droits pour toute diffusion extérieure aux contrats qui le lie à ses clients. Il y aurait là une clarification quant au statut professionnel du photographe.

Mais j’ai conscience de toucher une corde sensible. La note d’honoraires « cession de droits d’auteur » engendre des charges sociales, gérées par l’AGESSA, beaucoup moins lourdes qu’une quelconque facture « prestation se service » sous le régime de l’URSSAF. Il ne faudrait pas qu’une plus grande « professionnalisation » du photographe s’accompagne d’une mise en cause de sa qualité d’auteur et donc des quelques avantages que la société a bien voulu lui accorder. C’est certainement une bataille difficile dont l’issue dépend pour une part de la bonne volonté des pouvoirs publics vis à vis d’une profession dont tout le monde reconnaît qu’elle a subi d’importants dommages.

Je pense pour ma part que la crise que traverse le métier de photographe découle moins des évolutions technologiques et de l’avènement du numérique que d’un cadrage imprécis de ce métier qui met souvent mal à l’aise les clients. A la différence de la plomberie pour laquelle il n’existe que deux états : professionnel ou bricoleur, la photographie en compte trois : professionnel, amateur et artiste. Au risque d’exprimer les choses crûment, il faut bien dire que nos clients souhaitent le plus souvent que nous laissions au vestiaire nos élucubrations artistiques pour répondre très professionnellement à leurs demandes.

Ce qui n’est certes pas une raison pour dénier notre statut d’auteur. Où que nous nous trouvions dans la nébuleuse photographique, nous oeuvrons tous collectivement pour l’art photographique en devenir. Nos institutions s’honoreraient de le reconnaître sans réserve.


Février 2009