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Je vois d'abord, je réfléchis ensuite


Le hasard veut que plusieurs visiteurs de ce site m'aient interrogé, de façons diverses, sur les ressorts qui l'anime et le sens qu'on peut lui donner. Il y a les raisons intimes du photographe sur lesquelles je n'ai pas grand chose à dire. Il y a également la certitude que, demain, internet sera le vecteur numéro un pour la diffusion des images. J'ai déjà écrit sur cet aspect, soulignant le grave problème de la rémunération des photographes dans ce cas.

Cela étant, photographies faisant, observant de façon un peu plus attentive l'histoire et l'actualité de cette forme d'expression qui fortifia sa croissance au gélatino bromure d'argent, je me suis fais quelques réflexions, sans doute un peu iconoclastes, l'esprit aiguisé par les questions que m'ont été soumises.

Si la photographie est un art, elle est un art de l'instinct. Ce n'est pas un hasard si elle peine à séduire notre bien solennelle Académie française et si les tirages - en général anciens - qui se vendent à prix d'or, résultent souvent de prises de vues qui ont été réalisées en dehors de toute conceptualisaton artistique.

Je respecte tout à fait la photo d'art et les écoles qui l'enseignent mais je crains que cette voie ne condamne perpétuellement la photo à suivre les chimères du pictorialisme. La peinture, la sculpture, les arts graphiques ont une capacité de transcender le réel à laquelle la photo ne peut prétendre qu'en pratiquant des circonvolutions autour de ce qui est son coeur, pour le renier
finalement : l'objectif.

La photo produit la ressemblance, là où les arts s'en distinguent ou s'en échappent. Concevoir par avance des formes photographiables dans le cadre d'un protocole esthétique, voire agencer le réel pour le soumettre à ce protocole, tout cela peut s'avérer hautement créatif du point de vue intellectuel. Mais cela ne confère pas à l'image qui en résulte l'ombre d'une transcendance.

La photo est objective. J'entends bien ce qu'on dit sur les cadrages qui, montrant plus ou moins de choses, disent des choses différentes. On apprend cela dans les écoles de journalisme. Oui, oui, mais il reste que la photo, dans son cadre, dit le réel de façon bêtement objective.

La force de la photographie pour l'actualité et le journalisme n'est plus à démontrer. La photo est non seulement narrateur du présent mais, mieux encore, narrateur de l'instant. Elle tire sa puissance émotionnelle de sa capacité descriptive. Naturellement elle est attentive aux codes esthétiques, aux règles de la construction graphique et plus encore à l'expressivité de la lumière. Mais avant cela, elle est un oeil qui voit. Elle exprime le rapport singulier d'un photographe au monde - quel que soit ce photographe et quel que soit son monde.

D'un point de vue sémantique, la photo du grand-père qui trône au salon est de la même veine que les plus puissantes images de Cartier Bresson : elles touchent le coeur humain. Si le photographe a des raisons intimes de photographier, celui qui regarde l'image a ses raisons intimes pour plonger son regard dans le regard de l'autre.

La modernité technologique n'empêche pas la photographie de procéder comme le conteur des soirées d'antan qui savait trouer la nuit avec ses mots et capter son auditoire. La photo est un signal lumineux, un acte de pure communication, de pure séduction. Elle n'est pas sérieuse. Elle est humaine.
 
Décembre 2009